Le Moi professionnel (1)

Publié le par marie jeanne

Ceci n’est pas un journal intime, avis à quiconque aurait la mauvaise idée de prendre ce texte au pied de la lettre. Par contre, je ne dirais pas que ce récit est fictif. Loin s’en faut. Juste une version de ma vie, la face cachée de moi-même, ou plus exactement le Moi professionnel (papa Freud, lâche moi, je t’en conjure !!! Ahhhhh…).

 

Ou pour faire court à ceux que tant de préambules emm.. pardon enquiquinent, voici la journée type d’une étudiante infirmière en EHPAD (traduire par maison de retraite, mais je suis pro, donc c’est EHPAD).

 

RIDEAU :

 

5h55 : réveil matin, hein, hein… Le brouillard est épais, et je me lève en disant très poliment bonjour à mon lit. La journée démarre on ne peut mieux. Un orteil de cassé, c’est parti. Ou juste un gros bleu, m’enfin, ça fait sacrément mal. S’ensuit une course effrénée contre l’horloge. Douche, cache misère (= maquillage qui m’évitera des remarques désagréables tout au long de la journée. Ceci dit, effet non garanti, lire plus bas…). 6h35, zut, je ne suis pas en avance.

 

Règle numéro 1 : ne JAMAIS dire « en retard ». Voir le verre à moitié plein plus qu’à moitié vide. Donc je dis « je ne suis pas en avance ». Ce genre de pensée positive en mode autopersuasion est la règle d’or. Survie assurée de ce monde de fous.

 

Donc forcément, je fonce. Arrive dans le vestiaire à 6h51. Heureuse. Tout le monde est déjà habillé, tête en vrac et sourire au fond de la poche. Donc, aussi réveillée qu’il y a une heure, et des cernes style valises de Paris Hilton sous les yeux, j’arrive aux transmissions à 6h59. Parfait. Sauf que… l’infirmier, son diplôme en kit de survie, n’arrive que… dix minutes plus tard. Cette fois, c’est SUR, c’est une mauvaise journée. J’ai non seulement un orteil en vrac, mais j’ai en plus raté dix minutes de sommeil.

 

Le partage des tâches fait, je me retrouve seule avec ma liste de courses (= soins à faire) et demerdassek. Donc je regarde… il est 7h25. En gros, je ne dois pas traîner. Mon excuse est d’être avec un infirmier qui parle beaucoup, et particulièrement avec la fille de nuit. Pas de bol. Donc : deux dextros (pikpik au bout des doigts pour diabétiques) et une prise de sang. On y va. Les deux premiers se passent impeccables, arrive la prise de sang. Ceci mérite une explication, car quiconque a déjà fait une prise de sang, me comprendra. Une prise de sang de ratée, c’est quatre heures avec le moral au raz des pâquerettes. La vieillesse étant ce qu’elle est, chercher une veine sur un bras de 89 ans équivaut à chercher une aiguille dans une botte de foin. Je pense que la comparaison est assez claire sur mon espoir de réussir. Quasi nul…

            Mais oh joie ! oh miracle ! je réussis. Mamie est heureuse et moi avec. Matériel rangé, je galope à l’étage du dessus (eh oui, ce métier un sport, je m’y confronte tous les jours avec mes pauvres atours d’accro au Nutella…). Ou m’attendent les mêmes joies. Dextro pour petits vieux trop gourmands et prise de sang. 7h40. c’est bon, je peux partir dans l’autre aile du bâtiment. Où se trouvent les résidents les plus dépendants. Je regarde ma petite feuille. Quoi ? Une IM ? j’explique. IM = intramusculaire, la piqûre que tout le monde redoute, moi en tête de liste. La fameuse grande aiguille que l’on plante dans la fesse. Mais moi, j’ai fait ça qu’une fois, et avec une IDE, pas toute seule, démunie perdue seule au monde parfaitement paniquée… Bon, tant pis, je veux être professionnelle, c’est donc cette face de moi qui doit parler. Je vérifie l’ordonnance à peu près 129 fois pour être sûre du dosage, ma piquouse est fin prête et je me dirige d’un pas guerrier vers la chambre de mon patient. Euh… il est où le petit monsieur ? Je ne vois qu’une petite bosse sous les draps. Je soulève doucement… AAAAAAAHH !!! Si, si, il est bien là. Avec ses 45 kg tout mouillé. Bref, que de la peau et de l’os, quasi pas de chair à piquer. Petit blabla d’usage auquel me répond le silence, j’y vais. Quelle horreur, j’ai touché l’os. Tant pis, c’est fait. Et c’est avec les cloches de Notre Dame que je repars, fière comme tout d’avoir réussi toute seule.

Il n’est que 8h et je suis déjà Xéna la guerrière, forte et belle et… J’exagère un peu ? Complètement. N’empêche. Je suis PROFESSIONNELLE. Et c’est une victoire en soi.

            Suite au prochain épisode…

Publié dans 2e année

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article